Galerie Eponyme, Bordeaux (2022) Texte : Éléonore Gros
* Pointure moyenne de l’artiste plasticien au 2 janvier 2022, selon l’enquête du CRI ** sur un échantillon non-représentatif de 28 individus
** Centre de Recherche et d’Informations – Bilan de compétences à l’attention des artistes plasticiens – Galerie Eponyme située au 3 rue Cornac 33 000 Bordeaux, ouvert du mercredi au samedi de 14h à 19h du 26 mars au 7 mai 2022 ***
*** Permanences samedi 26 mars et samedi 7 mai 2022 de 14h à 19h sur RDV au 05 35 40 07 95
Charlie Chine habite. Elle s’approprie l’espace, le détourne et le transforme. Pour 41, 3, l’artiste dissèque l’espace du White Cube de la galerie, « dispositif scénique[1] » aseptisé et atemporel reconnu comme norme systémique de présentation des œuvres d’art contemporain. De forme rectangulaire, des murs blanc mat, un sol neutre, un éclairage homogène, ces caractéristiques esthétiques et fonctionnelles sont aussi l’apanage de certains lieux dits de transition. Pièce servant de passage entre un avant et un après, la salle d’attente – du médecin, du cabinet d’architecte ou d’avocat, du secrétariat de la DRH – en est l’archétype le plus évident. L’artiste s’aventure ainsi à défier la fonction première de la galerie afin de faire éclater, par cette transposition, le paradoxe qui fera œuvre.
La salle d’attente est aujourd’hui vue comme un lieu à haut potentiel en matière de communication et se révèle être un terrain propice à l’observation. Charlie Chine décide d’en reprendre les formes et les codes pour déjouer la vigilance du visiteur, qui se voit alors incarner le rôle d’un candidat amené à passer un bilan de compétences. Patientant dans la salle d’attente du secrétariat de la DRH, il profite d’un temps assis à regarder les œuvres aux murs, à feuilleter les documents à portée de main, à rêvasser devant une maquette, à considérer l’autre et à se demander comment l’aborder, à communiquer, à faire salon. Il passe alors les étapes d’un processus où chacune de ses observations sur les divertissements à disposition se verra confronter à la normalisation dont il est l’objet.
Cette pause réflexive le mènera indubitablement vers l’ultime étape de son parcours : le bureau du secrétariat de la DRH où lui sera soumis un bilan de compétences présenté sous la forme d’un questionnaire, qui se joue des normes et des codes de l’étude sociologique. Ce questionnaire, inspiré des bilans de compétences proposés par certaines entreprises pour réévaluer leurs employés, par Pôle Emploi par exemple, ou lors de reconversions professionnelles pour trouver sa voie, a été ici modifié et adapté au monde de l’art afin de tenter de dresser un portrait de l’artiste actuel et de définir la forme et le sens de ce métier.
C’est donc au cœur de la galerie que Charlie Chine crée le paradoxe par la construction de tout un complexe normé dédié à la figure de l’artiste. Reposant sur des protocoles stricts, ce parcours rationalisé et normatif dans tous les aspects de sa réalisation – normes industrielles, architecturales, temporelles, sociales et d’espace – interroge sur la question même de la production plastique d’une œuvre et des contraintes auxquelles l’artiste doit faire face dans le cadre de sa pratique.
Éléonore Gros
[1]Carnet de Recherche « Archiver le présent. Le quotidien et ses tentatives d’épuisement », Sémiotique du White Cube, Loosli, Alban.
https://nt2.uqam.ca/fr/entree-carnet-recherche/semiotique-du-white-cube